Avec la mondialisation de l’économie, les critères de localisation des investissements débordent des régions et des frontières, pour se focaliser sur le fonctionnement urbain et, par suite, sur la compétitivité des villes. On conçoit donc que derrière l’aménagement urbain et ses facettes instrumentales et technicistes, c’est le développement économique et social qui est en ligne de mire : la ville de demain et son aménagement sont de plus en plus perçus comme des leviers au service du développement.
En Tunisie, l’évolution prévue par le Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire National verrait la part de la population urbaine passer de 71% en 1994, à 75% en 2016 et à 84% en 2030. Les métropoles et les très petits noyaux connaîtraient les transformations les plus notables. Cela laisse mesurer tout l’enjeu que représente cette évolution en termes de maîtrise du phénomène d’urbanisation et de réponses à apporter en matière d’habitat, d’équipements, d’infrastructures et de services urbains.
De nouvelles conceptions et perceptions du fait urbain commencent à apparaître, sous l’influence conjuguée des autorités, des opérateurs économiques et des chercheurs de tous bords. Ainsi :
Ces nouvelles conceptions du fait urbain, en tant que vecteur de l’économie nationale, ainsi que les exigences nouvelles issues du processus de mondialisation de l’économie ont conduit, depuis quelques années, les autorités à prendre un certain nombre de mesures de divers ordres pour préparer la Tunisie et ses villes à affronter les défis nouveaux. Citons notamment :
D’autres mesures, d’impact non moins important, ont touché les institutions en place opérant sur le milieu urbain au titre de la planification, du financement ou de la gestion.
Ceci posé, il convient d'aborder la question du devenir des villes tunisiennes autour de cinq facteurs qui influent notablement sur le fonctionnement urbain et, par suite, sur la compétitivité des villes. Ces facteurs sont les suivants :
LA MAITRISE DE LA CROISSANCE URBAINE
Dans le contexte de la globalisation de l'économie, une ville compétitive c'est tout d'abord une ville qui maîtrise sa croissance. Maîtriser sa croissance, signifie deux choses :
Cette maîtrise ne veut surtout pas dire qu’il faille exproprier à tour de bras. Au contraire, cela correspond à la nécessité d’organiser à la base les propriétaires fonciers péri- urbains et de leur permettre de mener des opérations de lotissement sur leurs terrains respectifs. Plusieurs conditions sont requises pour cela :
Chacun de ces points mériterait à lui seul un exposé. On se bornera à souligner que la compétitivité des villes passe par la synergie des opérateurs, notamment privés, le rôle du secteur public restant en amont, celui d’organisateur et de facilitateur de la croissance urbaine.
L'EFFICACITE DU RESEAU DE CENTRALITE
Second facteur agissant sur le fonctionnement urbain, la centralité. Nous faisons référence principalement aux processus de création et de développement des centres urbains. A l’heure actuelle, nos nouveaux centres sont à classer en deux catégories :
A côté de ces centres « formels », se développe une pléthore de centres spontanés, issus d’opportunités locales (Ksar Tej, El Mourouj, Ettadhamen etc...) dans des conditions souvent désastreuses pour l’habitat qui les entoure.
Or, un examen attentif des centres anciens de nos villes, européens ou médinas, fait apparaître trois qualités majeures acquises au fil des temps :
Ces trois qualités font encore défaut aux centres nouveaux. La recherche d'un meilleur fonctionnement des villes, à travers une mise à niveau de la centralité, suppose donc que soit mise au point une méthodologie et des procédures spécifiques de production de nouveaux tissus centraux. La complexité des relations qui doivent émerger à travers ces centres exige de tous, promoteurs, administrations, bureaux d’études, une approche beaucoup plus intégrée. Deux formules seraient à explorer :
En résumé, nos nouveaux centres ne redeviendrons attractifs et internationalement compétitifs que si l’on arrive à mettre en place des structures publiques ou mixtes de maîtrise d’ouvrage urbaine, capables de monter des projets complexes et d’envergure.
L'EVOLUTION DES CONDITIONS DE VIE
Sous cette appellation générique, nous avons réuni tout ce qui, au niveau d’une ville, peut refléter l’agrément et le confort des populations. Nous y avons notamment inclus :
Concernant les quartiers populaires, la voie ouverte par les autorités, à travers les divers projets urbains (PDUI, PNRQP, PNAQP), se traduit par la prise en charge, par la collectivité, des dépenses de viabilisation des quartiers populaires. Il s’agit là d'une expression de la solidarité nationale puisque les montages financiers des opérations prévoient jusqu’à 70 % de subventions étatiques et l’expression de la solidarité locale, avec 20 à 30 % puisés dans les finances locales, sans recouvrement envisagé. L’amélioration de la productivité des populations de ces quartiers et l’estompage des formes de ségrégation trop marquées se font à ce prix. Il s’agit très certainement d’un palliatif, car les ressources publiques vont en s’amenuisant et ces formules de transferts sociaux en sont d’autant limitées.
Les solutions durables iront à la racine du mal, c’est à dire aux causes mêmes du développement de l’habitat anarchique, qu’il serait trop long de développer ici. Disons en substance, que nous disposons d’une panoplie de textes juridiques permettant d’engager la lutte sans délai et au moindre coût pour la collectivité. Des mesures d’accompagnement devront être prises pour la prévention du phénomène, telles que la mise en place d'une offre adaptée de terrains à bâtir, la généralisation des observatoires fonciers, la création de réserves foncières etc...
La seconde question, ayant trait aux conditions de vie urbaines, se rapporte aux équipements socio-collectifs. Les villes tunisiennes sont globalement assez bien équipées. De plus, du fait de l’indexation du niveau d’équipement au statut administratif de la ville (pour bon nombre d’établissements), un équilibre général se dégage. Le problème se pose principalement en termes d’emprises foncières pour les nouveaux équipements. Peu de services publics consentent actuellement à acquérir de nouvelles emprises au prix du marché foncier et les nouvelles implantations se font au gré d'opportunités foncières, souvent localisées en dehors des zones aménagées. La qualité de la desserte s’en ressent et les tendances de l’urbanisation s’en trouvent détournées.
La question de l’environnement, à son tour, interpelle car, il ne saurait y avoir dorénavant de compétitivité et d’attractivité en dehors d’un environnement urbain salubre. De façon globale, nos villes sont propres, du moins en ce qui concerne l’assainissement et les ordures ménagères. La tendance vers la privatisation de ces deux services publics urbains renforcera très certainement cette caractéristique. Demeure toutefois le problème de la pollution de l’air dans les villes, problème encore mal cerné mais très réel. Cette pollution est générée pour une large part par la circulation automobile, elle -même induite par une ségrégation fonctionnelle trop poussée dans nos villes. Un urbanisme respectueux de l'environnement viserait avant tout la réduction de ces déplacements par la généralisation de la polyfonctionalité des tissus urbains.
Ainsi, en substance, si nous parvenons à assainir les quartiers populaires, à endiguer l’habitat anarchique, à rapprocher les équipements de la population et à limiter les déplacements urbains, nos villes seront parvenues à un stade optimal de qualité de vie que viendra consolider la qualité des espaces architecturaux et urbains, objet du point suivant.
LA QUALITE DE LA PRODUCTION ARCHITECTURALE
L'attractivité des villes comprend une large part d’appréciations subjectives liées au charme de la ville, à son histoire, à la culture qu’elle véhicule, à l’esthétique d’ensemble de son site et de son architecture. La grande majorité de la production du cadre bâti en Tunisie échappe à la conception architecturale. Et le peu qui lui revient est fortement conditionné par des logiques de rentabilité - financière et foncière – qui laissent très peu de place au projet urbain global. Si l'on ajoute à cela l'épineuse question des références qui, tout en variant d'un concepteur à l'autre, aboutit souvent à la production de pastiches, on aura fait le tour de la problématique de la production architecturale. A notre sens, il s'agit de mener une double lutte concomitante :
Concernant l’habitat ancien, il représentait en 1994, 10 % de notre parc logement en milieu urbain. Habité par des populations de plus en plus vieilles et aux ressources très limitées, ce parc se dégrade de jour en jour, dans l’attente d’hypothétiques interventions des pouvoirs publics. Cet habitat est porteur de valeurs multiples qui en font un objet de curiosité et souvent même un produit de substitution de qualité aux logements neufs. Tout le monde, pouvoirs publics en tête, est convaincu de la nécessité de la sauvegarde et de la réhabilitation de l’habitat ancien. Or, les rares tentatives menées à ce jour, bien que marquées par le sceau de la réussite, pêchent par leur faible degré de réplicabilité. La raison majeure en est que les finances provenaient en grande partie des ressources publiques et que les niveaux de recouvrement étaient très faibles. La suggestion qui est faite, résulte d’une attitude résolument participative. Elle consiste à organiser le mieux possible la demande de réhabilitation alors même que jusqu’à ce jour, nous avons tout axé sur l’organisation de l’offre de réhabilitation. L'hypothèse sous-jacente est qu’en organisant la demande et donc les populations concernées, l’offre suivra d’elle-même sans grandes difficultés, d’autant que toutes les ressources des populations seront mieux mobilisées.
Le second point fondamental à évoquer ici concerne la qualité architecturale de nos villes. Il vrai que 90 % du cadre bâti échappe au marché de l’architecture. Il est vrai aussi que les 10 % restants sont projetés dans des conditions qui laissent peu de place à la création architecturale: souci de rentabilisation, faible culture architecturale des promoteurs, etc... Le problème que nous voudrions soulever est celui de l’incohérence architecturale. Dans une même rue et malgré un règlement d'urbanisme identique, nous avons des productions architecturales totalement incohérentes, chacune adoptant des références et des vocabulaires spécifiques. Tout en réfutant avec force l’homogénéité, nous militons pour la cohérence dans l'architecture urbaine en tant vecteur d'identité. Et cette cohérence ne pourrait être induite que par l’adoption de documents ayant pour objectif d'encadrer la diversité de la production architecturale, dans la logique du plan d’aménagement global.
LES PERFORMANCES DE LA GESTION URBAINE
Nous ne pourrions pas achever cet exposé sur les moyens d’améliorer le fonctionnement urbain et donc la compétitivité des villes, sans parler, même brièvement, des conditions de la gestion urbaine. Deux sujets seront au centre de cette réflexion :
Le CATU confère aux municipalités de larges pouvoirs sur le devenir des villes sans pour autant prévoir tous les moyens qui leurs seraient nécessaires pour jouer ce rôle. Sur les 257 communes que compte le pays, seule une vingtaine tout au plus seraient à même de remplir leurs obligations en matière de gestion urbaine et dans des conditions qui excluent tout esprit de compétitivité et d’innovation. Plusieurs études et réflexions ont abondé dans le sens de faire assister les communes par un organe technique adéquat, du type Agence d'Urbanisme. La question de la formation des élus est aussi à poser dans la mesure où la gestion urbaine ne relève pas seulement de l’instruction des lotissements et permis de bâtir, mais plutôt d’une vision intégrée tendant à engager la collectivité dans une compétition vers le développement. Les conseils municipaux ne peuvent plus, dans le nouveau contexte, demeurer passifs dans l’attente d’une manne quelconque. Leur rôle bien compris serait d’être à l’avant-garde de l’innovation et de la course pour l’investissement, de manière à valoriser au mieux les atouts urbains dont ils disposent, au profit de leur population.
La question des infrastructures primaires, dernier point évoqué dans cet exposé, concerne aussi les collectivités locales. Rappelons que nos villes ont grandi à ce jour sur un stock de terrains publics et d’infrastructures primaires réalisées par l’Etat. L’un et l’autre s’épuisent de jour en jour et la question est celle de savoir qui va réaliser, coordonner et payer les infrastructures primaires prévues par les PAU. Si la STEG, pour l'électricité et la SONEDE, pour l'eau potable, ont réussi à mettre au point un système de récupération des coûts primaires, le problème des voiries et de l’assainissement primaires demeure car ils restent en grande partie à la charge de l’Etat. La tendance que nous devrions prendre consisterait à rechercher autour d’un opérateur unique (public, local ou privé) une formule de financement et de recouvrement des coûts qui permette le renouvellement du stock des terrains constructibles.
Il paraît admis aujourd'hui que la production d'espaces urbains de qualité est à la fois un signe et un facteur de développement. A l'inverse, des espaces urbains mal maîtrisés et une architecture difforme ou hétéroclite peuvent constituer de sérieuses entraves au développement d'une société. Le plus grand danger à ce titre serait que l'architecture et l'urbanisme deviennent des produits marchands réservés à ceux qui peuvent payer et qu'une coupure ne s'instaure progressivement entre les architectes et la société civile. Or, le paysage urbain est très largement tributaire des vastes cités d'habitat populaire et des lotissements destinés aux couches moyennes, où aujourd'hui l'architecture fait encore défaut
Nous sommes conscients que nous traversons actuellement une phase de turbulences qui touchent aussi bien l’économique, le social que l’urbain. On parle partout, à juste titre, de mise à niveau. Celle de nos villes doit être comprise comme la recherche d’une plus grande rationalité et d’une plus grande intégration de la gestion urbaine. Cette mise à niveau passe aussi par un resserrement des liens entre l'architecture et la société dans son ensemble, par des efforts de formation, de vulgarisation et d'assistance technique.
Le programme d'action qui se dégage de ces analyses pour construire la ville de demain peut se récapituler dans les points suivants :